Iker : Bonjour Sylvain ! On te connaît comme membre fondateur du groupe Boulevard des airs, mais peux-tu nous en dire plus sur toi, ton parcours?
Sylvain : J’ai commencé à écrire très tôt dans mon enfance. A 11-12 ans, j’écrivais déjà mes chansons. A 16 ans, je découvrais Les ogres de Barback, La rue Kétanou, Babylon Circus. La claque! Alors que je suis encore au lycée, je crée Boulevard des airs. Au tout début, j’écris mes premières chansons dans une sorte de nécessité d’exprimer ce que j’ai à l’intérieur. Puis, pendant huit ans, on va ensemble répéter chaque semaine sans but précis, si ce n’est que de jouer dans les bars qui veulent bien nous accueillir ! Un jour, un attaché de presse va venir nous voir à Tarbes et nous dire qu’une de nos chansons peut faire un tube. Alors, on le suit, on commence la radio, la télé… A partir de ce moment-là, les bookers, les producteurs de spectacle, les maisons de disque, les labels vont s’intéresser à nous. Boulevard des airs devient professionnel. On sort notre premier album et pendant une décennie, on en sortira un nouveau tous les deux ans et on tournera sans s’arrêter… Notre quatrième album sera récompensé aux Victoires de la musique. Alors oui, quand tu rencontres le succès, tu rentres dans une spirale ascendante qu’il faut maintenir, comme dans toute entreprise. Peut-être qu’à ce moment-là, on peut perdre un peu l’essence de ce pourquoi on fait cela.
Ce nouvel album en solo c’est, pour moi, un retour à l’écriture de nécessité, d’urgence. Celle des débuts. Il est né après une période très sombre, après un accident de voiture le soir de la dernière date de tournée avec Boulevard des airs, il y a 3 ans, alors que nous avions décidé de faire une pause. J’avais vraiment besoin de le faire. Avec lui, je réapprends à faire des chansons comme avant le succès. Je ne réfléchis pas à comment il sera reçu, ni à combien d’exemplaires il sera vendu. Je retrouve juste, tous les matins, mon ami Vincha en studio, on aborde plein de sujets, on compose des chansons et ça devient vite très intime, un peu comme une thérapie.
Iker : A tes débuts, as-tu choisi la chanson et l’écriture comme moyen d’exprimer ce que tu avais du mal à extérioriser?
Sylvain : Effectivement, la musique s’est imposée à moi probablement parce que c’était la seule manière que j’avais pour extérioriser. Très tôt, j’écrivais déjà… des poèmes, un journal intime, des lettres et après, grâce à l’apprentissage de la musique, j’ai pu allier les deux et mes mots sont devenus des chansons.
Iker : Quand tu écris des chansons, as-tu l’impression de transmettre un message si universel qu’il touche tout le monde?
Sylvain : Avec Boulevard des airs, quand je savais que des milliers de personnes allaient écouter un nouveau titre, j’étais obligé de penser à l’impact que tel mot ou refrain pouvait avoir. Quand j’ai commencé à écrire pour moi, je n’ai pas du tout pensé à l’impact que mes créations pouvait avoir sur les gens, à part peut-être mes proches quand je m’adressais à eux en chanson. Les chansons Prologue et Plissement de l’oeil, j’aurais pu les écrire dans mon journal intime et les garder pour moi. Lorsque je dis « Julie (ma compagne) me connaît mieux que je ne me connaîs moi-même », c’est très personnel. Mais ce qui est drôle, c’est qu’en effet, ce sont ces phrases-là, les plus intimes, que je reçois le plus en retour aujourd’hui.

Virginie : Je n’ai pas souvenir de 50 000 chansons que j’ai écoutées pour la première fois et qui m’ont fait pleurer comme ta chanson Le plissement de l’œil. En tant qu’artiste, quelle influence a ce genre de retour sur ta création?
Sylvain : Cela me fait plaisir, c’est sûr, parce que je me sens proche de la personne qui me fait ce retour, parce qu’on partage une même humanité, une même empathie, potentiellement les mêmes blessures, les mêmes ressentis. J’ai l’impression que ma mission est un peu remplie avec cette chanson, parce que d’une part, j’ai pu dire ce que je n’arrivais pas à dire à mon père et d’autre part, ça résonne chez d’autres personnes. Si ça ne concernait que lui et moi, je ne ferais peut-être pas ce métier. D’ailleurs, pourquoi ai-je besoin que mes textes soient entendus du plus grand nombre? C’est très impudique voire prétentieux, égocentré ou alors c’est un besoin d’amour infini. Je me dis sûrement inconsciemment : « Plus de gens m’écouteront, plus on m’aimera et plus je serai heureux… » Peut-être que ça vient de là, d’un besoin d’être aimé. Un besoin au final très universel.
Iker : Y a-t-il, selon toi, une dimension de contribution dans l’œuvre artistique, quelque chose que toi, en tant qu’être humain, pourrais apporter au monde pour le rendre meilleur, plus beau ou différent?
Sylvain : J’avais jamais vu ça comme ça, mais j’aime bien l’idée que ce que j’ai pu écrire soit une contribution. Il m’arrive souvent de regarder un film, d’écouter un album ou de regarder des peintures et d’être submergé. En effet, l’art aide , en quelque sorte, à se sentir moins seul. Quelqu’un a mis des mots ou des images sur des ressentis. Il y a tellement de gens qui n’arrivent pas à exprimer leurs émotions. On pourrait dire de l’artiste qu’il est un « médium » ou un « relai ». Alors oui, c’est une belle contribution. Un déclencheur qui allume une lumière pour l’autre qui soudainement, se découvre, se comprend mieux, grandit en découvrant une nouvelle lumière à l’intérieur, qu’il n’était pas capable d’allumer.
Je crois qu’au final, au bout de la chaine de contribution, c’est un gain de liberté. Nous sommes tous remplis de chaines, de nœuds indémêlables qui nous appartiennent ou pas… Si cette émotion partagée permet de libérer ces nœuds alors je crois qu’au final, c’est bien ça, contribuer à la libération de l’être.
Une chanson ne libère jamais totalement. Mais c’est comme si nous, artistes, nous faisions notre part du colibri d’un long processus. Pas par pure générosité, car c’est avant tout, pour nous libérer nous-mêmes que nous créons. Mais ce n’est pas incompatible, non?
Virginie : On a beaucoup parlé du processus créatif, mais quand on connaît le parcours de Boulevard des airs, on sait à quel point ces moments de partage avec le public sont essentiels. Que pourrais-tu nous dire à propos de ces moments sur scène?
Sylvain : Cela me fait rire parce que ce que je peux vous dire, c’est que je suis pas du genre à stresser avant de monter sur scène et qu’en sortant même, très rapidement, je passe à autre chose.
J’ai des amis artistes qui vont mettre plusieurs jours à se remettre d’un concert, mais ce n’est pas mon cas. Par contre, le moment où je suis sur scène, j’en ai vraiment conscience, il se passe des trucs incroyables. La puissance du moment, l’énergie de cet instant, je ne le retrouve nulle part dans la vraie vie. Cette heure et demie passée sur scène avec 1 000 ou 10 000 personnes qui sont ensemble au même moment et chantent à l’unisson, c’est vraiment un moment suspendu qui démultiplie sûrement le pouvoir des mots.
Virginie : Y a-t-il en toi quelque chose qui, au-delà de la musique, crée un dialogue avec le public et fait que quelque chose de spécial se produit?
Sylvain : Franchement, je ne saurais pas dire mais il y a quelque chose, oui, notamment quand j’entre dans une sorte de transe sur des passages musicaux.
Virginie : Je me souviens de moments dans tes concerts où la résonnance de la vibration de ta voix vient nous toucher directement le cœur. L’énergie monte encore quand le public se joint à cette vibration. As-tu ressenti cela en étant sur scène?
Iker : Pareil pour moi. A un moment donné, c’est comme si tu appuyais sur un bouton qui ouvre mon cœur. C’est d’autant plus marquant que l’on vit au jour le jour dans une société qui t’amène à fermer le cœur plutôt qu’à l’ouvrir.
Sylvain : En fait, ce que vous décrivez, c’est exactement ce qui se passe chez moi. Je ne sais pas comment on fait pour ouvrir le cœur en règle générale, mais parfois sur scène, j’arrive à le percevoir. Peut-être est-ce un moment où je ressens un truc particulier, où je me laisse emporter par l’émotion à presque me faire pleurer tout seul… Un moment où je suis allé plus loin et que mon cœur s’ouvre. Du coup, c’est ce moment-là qui nous connecte tous de manière synchronisée, je pense.
Iker : Es-tu en train de nous dire que quand tu es sur scène, cette lumière dont on parlait tout à l’heure, s’allume chez toi à des moments précis pour s’allumer aussi chez les autres?
Sylvain : Je me souviens du concert aux Victoires de la musique, d’un moment où j’interprète cette chanson comme je ne l’avais jamais interprétée et où il se passe un truc très fort. Le lendemain, une fille qui s’appelle Julie, qui n’écoute pas forcément Boulevard des airs me félicitera pour la prestation et la Victoire. Cette Julie est ma compagne depuis 5 ans, maintenant. Elle me dira plus tard qu’elle a pleuré et ressenti quelque chose de très fort à ce moment-là. Donc oui, il y a bien quelque chose d’un peu mystique qui se passe parfois !
Iker : Est-ce qu’en suivant ce « quelque chose », tu suis simplement ton cœur et ton intuition, en laissant la vie tracer le chemin devant toi?
Sylvain : Je suis très cartésien normalement, mais comme pour l’accident, il s’est passé plein de trucs où je me suis dit : « C’est pas possible que ça arrive ! ». Je me dis que ce sont des coïncidences. Et puis parfois, il y a des choses dans la vie qui me remettent sur le chemin de ce que j’appelle « la Foi », pas religieuse, mais la croyance en un truc qui nous dépasse. Comme cette lecture de Paulo Coelho, peu après l’accident, qui m’a mené dans une chapelle dans les montagnes près de chez moi pour y lire une prière qui demande protection pour tous ceux qui vont prendre la route. Inconsciemment, en cherchant cette chapelle que j’avais découverte en lecture, je cherchais peut-être à me remettre sur le chemin de la confiance.

Iker : Avec l’expérience accumulée dans ton parcours avec Boulevard des airs, tu entames aujourd’hui, un nouveau cycle comme si tu te réinventais. Comment fais-tu pour retrouver la flamme et l’envie de repartir pour vivre quelque chose que tu as déjà connu?
Sylvain : Cette flamme, on la retrouve en changeant, ce que j’appelle, la structure. La structure, c’est ce qu’on fait, comment on le fait, pourquoi on le fait. Celle-ci était très claire au sein de Boulevard des airs. Mais en modifiant cette structure, j’ai beau refaire la même chose (repartir sur la création d’album, les promos, les concerts…), tout change. En tout cas, dans mon cas, en écrivant certaines chansons, j’ai vraiment retrouvé le Sylvain qui écrivait des chansons dans sa chambre à 11-12 ans.
Virginie : A tes débuts, dans ta musique, il y avait une dimension de lutte. Avec le temps, notamment durant le succès de Boulevard des airs, tes chansons sont devenues plus consensuelles. Aujourd’hui, avec tes nouveaux titres, je perçois un virage vers quelque chose de plus personnel autour de la notion d’amour. As-tu conscience de cette évolution?
Sylvain : J’ai vraiment le sentiment d’avoir fait sauter toutes les barrières que je pouvais me mettre dans l’écriture. Et c’est vrai que j’ai moins besoin d’exprimer la lutte aujourd’hui. Cet album est celui de l’expression de l’amour sous toutes ses formes: l’amour du couple, l’amour paternel, l’amour de soi…
Virginie : Est-ce-que finalement, ta carrière artistique est un peu comme un chemin spirituel pour toi?
Sylvain : Si on parle d’une forme de quête d’amour, force est de constater que même si je n’en ai pas conscience, il semblerait que je sois sur un chemin qui y ressemble, et c’est tant mieux !

Crédit photo : @Juliette Denis