La nature de l’égo dans le bouddhisme
Mon propos dans cet article est de comprendre la notion d’égo dans les spiritualités asiatiques, en particulier dans le bouddhisme, où l‘égo apparaît souvent comme la cause de l’ignorance et donc de la souffrance.
Je pense qu’il y a un malentendu dans la perception de l’égo du point de vue du monde de la tradition méditative, comme le bouddhisme, et le monde d’aujourd’hui. Ce qui peut conduire à des confusions.
Dans le bouddhisme, l’égo est un état d’être qui se définit par l’amalgame de différentes fonctions psychiques et physiques que l’on prend par confusion pour un « moi ». En s’identifiant à son passé, son futur, son présent, ses pensées, son corps, on fabrique une sorte d’amalgame très solide et très fragile face au changement inhérent à toutes choses, y compris soi-même.
Un être qui se sent vivant s’attache à son corps, à ses sens et pense que sa vie est l’expression de ce moi, et que ce moi est l’expression de sa vie. Indissociablement lié, il défendra sa vie comme il le peut. Voici ce qu’est l’égo dans l’approche bouddhiste.
Les puissants alliés de l’égo
Pour les êtres humains qui évoluent dans des sentiments et une volonté de contrôle, protéger leur vie, leurs opinions, leurs proches, développer un sentiment existentiel de sécurité en s’appropriant des biens et en se reliant à des personnes que nous affectionnons est l’expression même de l’égo.
Il n’y a pas de mal en soi à cela. L’égo n’est pas méchant en tant que tel, pas méprisant.
Mais fondamentalement, il ne peut pas être pérenne et cherche toujours à l’être. Soit en oubliant sa condition éphémère, soit en cherchant à vivre plus, à avoir plus, à être plus, etc.
Pour satisfaire cette volonté d’amplification, l’égo dispose de quatre alliés puissants :
- la colère et la peur, qui lui permettent de satisfaire son besoin de sécurité,
- le désir, qui lui permet de satisfaire son besoin d’expansion,
- l’ignorance, qui lui permet d’oublier sa condition intrinsèquement fragile et éphémère.
Comme nous pouvons le constater, l’égo n’a rien à voir ici avec une dimension psychologique liée au fait d’avoir ou non du caractère.
Certaines personnes peuvent être orgueilleuses, vaniteuses, tandis que d’autres sont plutôt discrètes et effacées, mais ces caractéristiques ne les débarrassent pas de l’égo tel que nous l’avons décrit précédemment.
Les animaux, dans ce sens, ont également un égo. Ils s’identifient à leur corps, reconnaissent les êtres de leur propre espèce et sont motivés par la peur et la colère. Bien que tous n’aient pas des sentiments développés tels que la tristesse, tous s’identifient à eux-mêmes comme à quelque chose d’absolu et d’essentiel.
Les pratiques méditatives pour comprendre l’égo
La méditation, dans de nombreuses traditions issues de l’Inde, nous permet de percevoir le caractère fondamentalement obscurcissant de l’égo.
Il est comme un mur d’eau qui voile l’essentiel et empêche de percevoir la vraie nature du cosmos et de l’être.
Certaines traditions parlent de Dieu, du grand Soi, un état d’amour et d’espace infini qui se dévoile progressivement et place l’être dans un état au-delà de la mort, au de-là de soi. En réalité, l’égo coupe de l’amour, il ne sait aimer qu’à travers son propre prisme, comme une lumière qui passe par le trou d’une serrure.
Est-il nécessaire de passer d’un état d’égo à un état sans égo ?
Les modalités diffèrent d’une tradition à l’autre. Dans le bouddhisme, le fait de développer l’attention aux composantes et aux aspects conditionnant de l’égo limite déjà son impact obscurcissant. Cela a été si bien compris qu’aujourd’hui, les méthodes de pleine conscience sont largement répandues sans que les personnes se sentent obligées d’abandonner toute idée de soi.
Mais la mise à distance des sensations, des pensées et des émotions n’est pas suffisante pour diminuer le caractère affligeant de la saisie des pensées, des émotions et des sensations comme étant un moi.
Cette ouverture trouvera son sens à travers les pratiques de compassion qui permettront de ne pas sombrer dans une approche binaire « soit Moi, soit Rien ». La compassion et l’amour sont des méthodes pour avoir confiance dans le fait qu’il existe une réelle alternative à la fixation sur soi-même des pensées, des émotions, des perceptions, etc.
On peut même aller plus loin : la méditation est un moyen pour reconnaître la nature aimante qui sommeille en soi.
Comme si la colère, la peur, l’envie étaient les pièces d’un Lego mal monté (Lego, l’égo, vous remarquerez le fin jeu de mots). Une fois mises en place dans le bon ordre, l’amour, la connaissance et la compassion peuvent naturellement s’exprimer. Il n’y a pas un bon soi ou un mauvais soi, ce sont simplement des pièces de Lego, mais une fois agencées dans le bon ordre, elles produisent quelque chose de plus satisfaisant.
Pour celui qui aspire au bonheur dans cette vie, cette pratique de l’amour, de l’altruisme, d’une conscience plus globale aura raison des aspects les plus grossiers de l’égo : l’indifférence, la peur et l’envie.
L’égo est donc au cœur du cheminement spirituel de nombreuses traditions méditatives.