Regardons un peu les cartes du Tarot, mystérieuses et si anciennes qu’elles sont supposées nous révéler le sens des choses.
La carte du pendu, ou les insensés
Ne pas trouver ce qui fait sens, c’est être insensé. Perdu dans nos désirs ou nos peurs, voire dans notre indifférence, notre monde se compose de couloirs menant à d’autres couloirs.
À droite se dresse le mur des espoirs, à gauche celui des peurs et des ressentiments. Sous nos pieds se trouve le sol des habitudes. L’insensé avance dans ce monde invisible, passant de déception en jouissance au fur et à mesure que la vie le pousse vers l’un ou l’autre mur. Il évolue au cœur d’un mystérieux labyrinthe.
Il se tournera plutôt vers les certitudes qui sont plus faciles à appréhender que ce qui fait véritablement sens. Dans ces conditions, il est difficile de libérer son potentiel. Notre potentiel de vie sera alors mis au service de ces certitudes.
On pourrait comparer cet insensé à la carte du Pendu dans le tarot. Bien sûr, il sourit ; il a du potentiel, mais il est entravé et s’exhibe au milieu du néant, la tête à l’envers. Pourtant il est fort, très fort.

La Quête de Sens, la carte de l’étoile
« Le Mat ose être sot, et c’est le premier pas vers la sagesse. » – James Gibbons Huneker
Une personne qui identifie ses valeurs se donne l’espace pour choisir ses actes.
Elle identifie ses contradictions et accepte ses failles. Les deux vont de pair. Sans reconnaître et se réconcilier avec ses vulnérabilités, la quête de sens risque fort de nous transformer en insensé.
Je ne vois pas beaucoup de différence entre les femmes et les hommes dans ce domaine. La recherche de sens est abyssale ; elle nous met en phase avec nos doutes et nos vulnérabilités. Comment pourrait-il en être autrement ?
Mon métier m’a amené à côtoyer des personnes en burn-out, des personnes dont les décisions ont un impact direct sur la vie des autres, comme les médecins. De l’autre côté, j’ai pu suivre aussi celles brisées par la maladie.
Comme l’a identifié bien avant moi, Viktor Frankl :
« Dans ces situations, certaines personnes quittent leurs certitudes et avancent courageusement dans l’inconnu et l’ouverture. Alors que d’autres choisissent les certitudes et se tournent vers une forme de rigidité ».
Lorsque j’intervenais en chambre stérile au Pays Basque, le contraste était saisissant entre ceux qui étaient en opposition avec la maladie et ceux qui l’acceptaient. Accepter ne signifiait pas se résigner pour eux ; c’était libérer une énergie précieuse pour se familiariser avec ce qui fait sens pour soi.
Que ce soit un vieux berger basque ou un professeur des écoles, ces personnes ne se battaient pas contre, mais luttaient pour quelque chose. Cela ordonnait leur vie dans un sens et permettait à une forme de vitalité de s’exprimer. On pourrait comparer cette figure du sensé à la carte du tarot de l’Étoile : il apprend à voir et à saisir les opportunités.
Malgré tout, il sait encore s’émerveiller. Bien sûr, comme les étoiles, certaines choses lui échappent, mais il compose avec.

La Figure du Mat
Il existe encore une troisième possibilité : après l’insensé et le sensé qui trouve son chemin, on pourrait rencontrer le Mat, la figure du fou.
Peu importe que le monde s’écroule ; sens et non-sens sont pour lui une source de rire et d’éclairement. C’est ainsi pour des êtres comme Diogène de Sinope ou Antisthène : leur vie était fondée sur un rejet du superflu et une simplicité qui les protégeait des hypocrisies sociales tout en établissant un rapport authentique avec le cosmos et la nature.
Ces philosophes étaient souvent perçus comme fous aux yeux du monde ; pourtant cette liberté les mettait à l’abri des insensés et de leurs certitudes ainsi que des conventions que s’imposent ceux qui pensent avoir trouvé un équilibre précaire dans leur courte vie.
Pour la plupart d’entre nous, sortir de la condition d’insensé pour aller vers notre propre étoile est sans doute préférable. Mais savoir garder un œil bienveillant sur ceux qui sont hors du chemin — loin des conventions — sans peur ni espoir peut nourrir en nous une mémoire d’absolue liberté intérieure : un être humain libre.