Qu’est-ce qu’une crise de leadership et comment la reconnaître ?
Il ne faut pas confondre crise de leadership avec un problème difficile.
Une crise de leadership est un problème systémique qui touche au leader autant qu’à son environnement. C’est une remise en question profonde des acquis et des fondamentaux. Elle se caractérise par une perte de repères. Le leader questionne sa place, son impact, ses ressources et ses responsabilités. Cette crise est caractérisée par un changement important, choisi ou subit.
Lors d’une crise de leadership, le leader est confronté à ses zones d’ombres et de vulnérabilité et au bilan sous-jacent de ses réussites et échecs.
Dit autrement : plus rien ne va et on ne sait pas comment faire pour s’en sortir !
C’est alors que s’invitent à la fête toute une cohorte d’enquiquineurs et d’empêcheurs de tourner en rond qui donnent tout leur sens au mot crise. Mais procédons par étapes…
Une crise de leadership peut avoir deux sources :
- une source extérieure :
- difficultés humaines : relations, motivation, conflits, engagement, performance, etc.
- dynamiques de groupe : esprit d’équipe, cohésion, collaboration, coopération, collective, etc.
- système : politique de la nation, réglementation, culture organisationnelle, modèle économique, changement de paradigme, etc.
- une source intérieure :
- états d’âme : abattement, perte de sens, ras-le-bol, etc.
- épuisement : saturation, fatigue chronique, surcharge, etc.
- doutes : saboteur intérieur, syndrome de l’imposteur, incapacité à voir, limite de compétences, etc.
Les deux mènent à des remises en question. Si elles ne sont pas résolues rapidement elles renforceront la profondeur de la crise. Une crise extérieure durable mènera inévitablement à une crise intérieure et l’inverse est vrai aussi.
La vie du leader est faite d’un continuum de crises et nous développons tous des compétences pour leur faire face. Or, en cas de crise intérieure forte, il y a des pièges qui peuvent nous rendre prisonniers d’un cycle infernal.
Les voici.

Crise et leadership : comprendre la descente aux enfers du leader
Tout commence par un déclencheur. C’est l’évènement que fait basculer le système dans le problème. Tout « allait bien » jusque là.
Les indicateurs se dégradent au fur-et-à-mesure. De cette dégradation et de sa vitesse dépend la gravité de la crise.
Pour toutes les entreprises sans exception, la crise sanitaire a été un véritable ras-de-marée qui a mené à des crises répétées. Pour les uns à cause d’un effet néfaste sur l’activité. Pour d’autres, qui étaient au bon moment au bon endroit, à cause d’une explosion inespérée de la demande.
S’en est suivi la crise tout court, avec les problèmes de ressources humaines, d’approvisionnement, d’inflation et le remboursement des PGE (Prêts Garantis par l’Etat).
Le déclencheur a été une crise extérieure (le Covid-19 et sa gestion par les autorités), suivi d’une cascade de crises extérieures en sus (relations fournisseurs, états des salariés, postes à pourvoir indéfiniment, approvisionnements, explosion des prix, etc.).
La donne a changé tellement que beaucoup sont perdus, sans ressources et sans idées. Du coup, dans leur descente aux enfers, ils tombent dans le premier des pièges : « faire comme avant ».
On se dit que ça va passer et que tout redeviendra « comme avant ». On désire du fond du cœur que tout revienne à la stabilité qui précédait le déclencheur. On fait tout pour qu’il en soit ainsi.
Sauf que si vous en êtes là, c’est que « avant » le système était déjà dégradé. C’est pour ça qu’il a flanché ! Revenir à un « comme avant » ne vous mènera qu’à un contexte vérolé par des problèmes sous-jacents déjà existants.
Quel que soit le problème affronté, notre première réaction normale est de souhaiter que tout redevienne « comme avant ». Or, dans tous les cas : « avant » est une époque où le problème que vous avez existait déjà sans que vous le voyiez pas. Revenir à cette époque n’évitera en rien qu’il se reproduise. C’est une illusion.
C’est la première erreur à éviter lors d’une crise de leadership : vouloir que tout redevienne « comme avant ». C’est à dire, revenir à une époque où tout semblait « aller bien » et rester prisonnier du passé.
Détrompez-vous.
Si ça ne va pas aujourd’hui c’est que ça n’allait pas déjà avant. Cherchez à optimiser un système défaillant et vous n’aurez qu’un système défaillant qui marche toujours mal… mais mieux. Le passé et ses « avant c’était mieux » ne sont pas la réponse.

Leadership et gestion des émotions : surmonter les tempêtes émotionnelles en période de crise
Une crise de leadership vous prend forcément aux tripes. Et quand ça vous prend, les émotions ne sont jamais loin et elles sont rarement positives.
L’émotion est la plus grande source d’énergie que nous ayons. Mal canalisée, elle peut faire des ravages.
La gestion émotionnelle et l’intelligence émotionnelle sont des sujets à part entière que nous ne traiterons pas aujourd’hui. Nous allons juste faire un focus sur l’effet des émotions sur la crise de leadership.
Quand elles deviennent envahissantes, les émotions s’allient à un mental envahissant. Ensemble, ils font chœur pour vous raconter des histoires sans fin. La plupart d’entre elles ne sont que des fictions qui, dans 99,9% des cas, n’auront jamais lieu.
C’est là que viennent se terrer beaucoup de peurs et scénarios catastrophe : vous imaginez la fin du monde avec une créativité déconcertante. Angoisse, anxiété et tous les troubles qui les accompagnent s’invitent à la fête et saturent votre capacité à faire face à la situation.
C’est là aussi que peut se terrer le Calimero qui est en nous : toujours à geindre et s’apitoyer sur votre sort. C’est le comportement de victime qui attend justice qui ne viendra jamais par elle même.
C’est là aussi que naissent beaucoup de comportements de fuite : c’est trop pour vous, alors vous zappez. Vous tournez le dos au problème, non pas pour l’oublier, vous êtes trop pragmatique pour ça, mais pour qu’il vous lâche les baskets le temps d’un instant. La procrastination et le déni de gravité s’incluent à la fête et aggravent la situation.
En cas de crise de leadership, vos émotions sont votre ennemi. Surtout quand elles deviennent trop puissantes. Même si vous avez travaillé à fond votre intelligence émotionnelle, même si vous savez gérer vos émotions en temps de crise, il y a toujours un seuil au-delà duquel elles seront toujours plus puissantes que vous. Alors que faire ?
Une seule chose : arrêter de les écouter. Et ne me faites pas dire ce qui n’est pas écrit. Je ne parle pas de déshumaniser le leadership. Je dis simplement que, quand vous êtes en crise, quand les émotions prennent le dessus et que la boule au ventre, le stress aigu et la saturation mentale menacent de vous dépasser, le seul moyen de passer le cap sans sombrer et d’arrêter d’écouter les émotions et toutes les histoires horribles qu’elles vous racontent.
Pour cela, il n’y a que les faits mesurables et la data qui remettront l’église au milieu du village, et vos ressources avec. La froideur de l’inéluctable, de l’information objective. Sauf que, avant d’arriver à ça, vous avez deux autres pièges qui vous séparent de cette solution, et ils sont cossus !

Leadership en période difficile : le mensonge intérieur est votre pire ennemi
Le plus gros des pièges : les mensonges envers vous-même.
Trop de choses entrent en jeu dans cette histoire mais, les plus importantes, concernent votre rapport à vous-même, à votre rôle et à votre image.
L’ego et l’orgueil se joignent à la fête pour compliquer les choses. Pour protéger votre identité et donc votre entièreté, ils veillent ardemment à cacher vos erreurs, vos faiblesses et vos vulnérabilités. Comment le font-ils ? Il vous racontent des histoires serties de mensonges. Certaines de ces histoires peuvent être vraies mais elles restent des mensonges, car ce n’est pas l’histoire qui fait le mensonge mais la diversion qu’elle induit.
Exemple : vous refusez d’accepter une situation car le faire supposerait que vous n’êtes pas le bon dirigeant-leader que vous croyez être. L’accepter peut être aussi un aveu de vulnérabilité car ça voudrait dire que vous ne maitrisez plus votre sujet ou que vous êtes à court de ressources. Ce ne sont que des interprétations subjectives, mais votre identité ne les supporte pas. Alors vous vous mentez : vous minimisez le problème, vous refusez de le voir, vous procrastinez, vous vous inventez des excuses, vous vous enfermez dans vos certitudes et/ou vous rejetez la faute sur les autres. Vous avez mille raisons qui expliquent la situation, mille histoires pour prouver que vous avez raison. Mais après vous être épuisé à vous les raconter que vous reste-t-il ? Le même problème, aggravé du temps que vous avez perdu à vous mentir. Car la vérité est que vous avez un problème qui vous dépasse. Point. C’est pour ça que vous êtes en crise.
Ce n’est pas l’histoire qui fait le mensonge mais la diversion qu’elle induit
En refusant d’accepter le problème et de l’accueillir tel quel, avec froideur et sans interprétation, vous vous fermez aux solutions qu’il exige.
La différence entre ceux qui s’en sortent et ceux qui s’embourbent n’est pas dans l’intelligence mais dans la quantité de ressources dilapidées inutilement.
Mais ce n’est pas tout, en plus du rapport à soi, son rôle et son image, il y a aussi la victimisation qui joue un rôle important…
Se retrouver pieds et mains liés est une sensation horrible. Elle fait émerger un sentiment d’injustice et la sensation que le ciel nous est tombé sur la tête. Le syndrome de la victime commence dès que nous commençons à geindre. On se dit que ce n’est pas juste : « Pourquoi moi ? » Cette question est l’autre indicateur que vous êtes tombé dans le piège : dès que l’on vous demande comment ça va vous geignez et vous déployez une liste longue comme le bras d’excuses pour expliquer ce qui vous arrive. Vous êtes le galérien geignard des « Comment ça va ? » Rien ne va, l’univers confabule contre vous : encore une fois, milles excuses mensongères pour vous faire plaindre et accepter de ne pas vous en sortir.
Ce que je dis est dur à entendre mais vous n’avez pas le choix. Peu importe si vous êtes un bon dirigeant ou pas, peu importe si ce qui vous arrive est injuste ou pas. La vérité est que vous avez un problème, qu’il est entre vos mains et que c’est à vous de le résoudre.
Un point c’est tout.
Ruminer sans cesse toutes ces « excuses » (et peu importent qu’elles soient justifiées ou pas) vous condamne à un éternel recommencement de cet enfer. C’est ce que Garret J. White, fondateur du mouvement Wake Up Warrior, appelle un « cul-de-sac karmique ».

Quand le leadership atteint un cul-de-sac karmique
C’est un éternel recommencement à fuir comme la peste !
Un déclencheur crée une descente aux enfers, c’est le début de vos problèmes :
- Vous tombez dans le piège des émotions, de l’ego et de la victimisation.
- Vous vous racontez des histoires pour vous convaincre que ce qui vous arrive n’est pas de votre faute.
- Vous tournez le dos à la réalité et, parfois même, vous vous anesthésiez à coups diversions en tout genre (réseaux sociaux, soirées, jeux vidéo…), pilules pour dormir, alcool, stupéfiants ou psychotropes quand ça ne va vraiment plus.
- Et vous restez coincé car la seule chose que vous voulez c’est que tout redevienne « comme avant ». Vous restez coincé dans le passé, vous ne regardez que derrière. Vous voulez résoudre les problèmes d’un système qui me marche pas au lieu d’en inventer un nouveau qui marche autrement.
Votre futur, certes incertain, est devant, mais vous vous acharnez à regarder derrière. C’est un passéisme accablant qui vous condamne à toujours reproduire les mêmes erreurs. Rien ne change car dans cet éternel recommencement vous vous condamnez à ce « cul-de-sac karmique » : un cycle infernal qui sent le renfermé.

Sortir de la crise : les clés d’un leadership résilient
Pour commencer, arrêter de se mentir :
- Vous êtes couvert de crasse jusqu’au coup. Peu importe d’où elle vient, reconnaissez-la et puis acceptez qu’elle soit là, sur le point de vous engloutir. Injuste ou pas, c’est vous qui êtes sur le point de vous noyer dedans. Alors l’accepter c’est commencer à se sortir de là.
- C’est peut être injuste mais c’est comme ça. Laissez la justice à part et acceptez que c’est tombé sur vous. Inutile de répartir les responsabilités ou de mettre la faute sur quelqu’un d’autre. C’est vous qui avez un problème. Le qui et le pourquoi du comment : on s’en fout ! Seul compte de se sortir de là.
Pour cela, il vous faudra ensuite :
- Cesser d’écouter les émotions et les pensées ruminantes qui en découlent. Dès que le mental s’emballe, revenez à une froideur pragmatique. Ne regardez que le factuel, à savoir les informations concrètes et mesurables. Pour cela, la froideur des chiffres n’a pas d’égal.Votre CA a chuté de 15% ? Vos marges de 30% ? Soit. Maintenant on fait quoi ? Seules comptent réflexions qui influencent ces chiffres : du pur quantitatif. Toute réflexion « qualitative » risque de vous perdre. Vous êtes en mode survie, ce qui compte c’est le résultat, pas la beauté du geste !Les faits, les faits, les faits et les chiffres, les chiffres, les chiffres : il n’y a que ça qui compte. Pas leur interprétation !Vous avez un problème « qualitatif » ? Trouvez une mesure quantitative pour suivre son évolution. Par exemple : vos clients sont mécontents de vos services (qualitatif), définissez des actions pour booster la satisfaction (et les commandes) à très court terme et mesurer le nombre d’entre elles que vous faites. Mesurez ensuite l’effet sur les ventes. Privilégiez les actions dont le taux de conversion soit le plus élevé. Vous pensez que vos clients sont gâtés pourris, qu’ils exagèrent ou qu’ils abusent ? On s’en fout. Les chiffres parlent : votre CA est en baisse et la satisfaction client aussi. Point. Quand vous serez sorti d’affaire, vous pourrez vaquer à affiner le qualitatif. Pas avant.
- Imaginer de nouveaux possibles. Rien ne sera « comme avant ». Alors dites-vous : « que devrais-je changer pour que rien ne soit comme avant ET que les problèmes que j’ai aujourd’hui ne se reproduisent plus jamais ? »Vous venez d’accepter le changement. Vous venez d’accepter de vous réinventer. Vous venez de vous tourner vers le futur. Demain ne sera plus jamais « comme avant ». Vous regardez devant pour imaginer et créer un renouveau.Sortir de la crise vous oblige à être créatif ou créative. C’est souvent dans les crises que les changements ont lieu avec un minimum de friction car tout le monde accepte qu’il faut faire « quelque chose » pour s’en sortir.Quand tout va bien, le changement est toujours source de friction. Les équipes, les associés, les parties prenantes vous disent : « Pourquoi changer si tout va bien ? » En temps de crise, tout le monde est d’accord. Votre opportunité est là.
C’est le moment de changer pour que plus rien ne soit « comme avant ».
- Formaliser de nouveaux process. Le changement doit être beaucoup plus qu’une solution ponctuelle à un problème, il doit mener à une nouvelle culture d’entreprise. Quelle est cette culture ? Comment serez-vous demain une fois que vous serez sortis de cette crise ? C’est la vision qui doit guider vos pas. Ce lendemain existe et c’est à vous de le créer.
Vous êtes redevenu le ou la leader que vous vouliez être. 100% focus sur les solutions, 100% focus pour mener un groupe d’hommes et de femmes vers la réussite. 0% focus sur les peurs et les histoires qu’elles vous racontent.
Une fois sortis de la crise, le moment viendra de faire le bilan des responsabilités. En pleine crise c’est un luxe que vous ne pouvez pas vous permettre.
Mais attention : si vous mettez tout ceci en application préparez-vous à accepter que la plus grande part de responsabilité dans toute cette histoire n’incombe que vous qui avez laissé que les choses en arrivent là. C’est ça aussi regarder la vérité en face.
Jocko Willink, ancien combattant d’élite de l’armée américaine et devenu l’une des grandes figures du leadership outre-Atlantique, parle de « responsabilité absolue ». Peut importe la taille du problème et son origine : en tant que leader, vous assumez la pleine responsabilité.
Mais c’est ça aussi accepter sa force.
Et vous êtes fort, forte. Il se peut que ces vérités secouent, il se peut qu’elles vous fassent vaciller mais, après coup, c’est grâce à ça que vous retrouverez votre puissance. C’est le début de la réussite.
Et dans le dur, rappelez-vous que : c’est dans les pires conditions que naissent les plus belles réussites.
La crise de leadership est la première partie du « voyage du héros ». Une fois dépassée, c’est à vous d’écrire votre quête. Que l’aventure commence !