Il n’y a pas un leader sur terre qui n’ait pas perdu des heures de sommeil à cause du problème que nous soulevons ici.
Après plus de 20 ans d’activité dans le conseil et l’accompagnement d’entreprises, et des milliers de conversations sur la question, avec des centaines de dirigeants d’entreprises, il en ressort un fil rouge liant trois clés fondamentales de l’autonomie des équipes.
Ceci n’est pas de la théorie, mais une observation empirique. Elle est tellement juste qu’une grande partie des objectifs attendus lors de mes interventions sont atteints en ne traitant que ces trois questions. Le client m’appelle pour travailler le leadership, les dynamiques de groupe ou pour des objectifs plus ambitieux de transformation managériale : il est loin de se douter que la majeure partie de ses problèmes n’ont rien à voir avec ça.
Voici les 4 grandes négligences qui minent l’autonomie, l’efficience et l’épanouissement de vos équipes.
Questions de niveau
Ok, je vais être dur mais on est là pour se parler vrai, pas pour se caresser dans le sens du poil. C’est ça aussi un leadership conscient.
Combien de fois avez-vous confondu niveau et potentiel ?
Sur le papier une personne a un potentiel dingue. Vous l’embauchez. Vous êtes capable de vous projeter et de voir qu’elle peut apporter au projet tout ce dont il a besoin, voire même plus ! Vous planifiez tout autour de ce potentiel et des résultats qu’il promet mais… Rien ne se passe comme prévu. Les objectifs ne sont pas atteints, vous êtes frustré. La constatation d’échec est pesante. Force est de constater que le mouton à cinq pattes s’est transformé en brebis galeuse. Il avait le potentiel de faire de merveilles, mais pas le niveau de les accomplir.
Est-ce sa faute ?
Non. Vous avez misé sur une promesse sans mesurer l’étendue des acquis garantis.
La fin de l’histoire est souvent triste. Mécontent, vous réduisez la voilure de votre recrue. A ses yeux, vous lui coupez les ailes. Elle, elle se rappelle de vos promesses car elle aussi à cru en ce potentiel que vous voyiez en elle. Elle en cru en votre vision et vos projections à son sujet. Elle y a tellement cru qu’elle s’est donnée à fond. Et elle a fait un saut quantique ! A ses yeux…
Elle se rappelle des monts et merveilles que vous lui avez promis, et elle a tout donné pour les atteindre. Alors quand vous rebroussez chemin, elle fait valoir ses droits et ses attentes ! Des droits que, bien sûr, vous considérez surévalués car les résultats ne sont pas au rendez-vous. Elle est persuadé d’avoir excellé, vous êtes convaincu qu’elle a fait du surplace. Impossible de vous entendre. Après une période de désengagement et de lutte, la personne vous quitte enfin, en claquant la porte, vous reprochant d’être un vendeur de rêve.
Vous mourrez convaincu qu’elle avait tort…
Ça vous parle ?
C’est le triste piège de ceux qui confondent niveau et potentiel.
Quelle est la dernière fois que vous avez évalué le niveau réel de vos salariés et établi un plan d’évaluation et de développement des compétences pour que chaque salarié ait les ressources nécessaires à sa réussite professionnelle ? Et soyez franc. La vraie dernière fois que vous avez fait ça sérieusement. Et ne vous mentez pas en sortant l’excuse des entretiens annuels… Tout le monde sait qu’ils ne servent à rien si on veut être sérieux sur la question. Ce n’est pas en une conversation par an que vous boosterez le potentiel de quiconque, encore moins que vous construirez un lien affectif avec l’entreprise. Ici, on parle de la dernière fois que vous avez travaillé une stratégie formalisée et budgétisée pour un développement de compétences.
Alors ? C’était quand la dernière fois que vous avez fait ça ?
Vous serez surpris de voir à quel point vos salariés en ont sous la pédale. Mais vous serez surpris aussi de découvrir que certains ne le savent pas et d’autres ne l’expriment pas car ils n’ont pas les moyens de le faire. Puis, la plupart s’encroutent dans un défaut d’épanouissement et une performance mitigée.
Tout être humain qui n’évolue pas, dépérit. Et sa performance aussi. Vous rentrez alors dans un rapport inversé de performance. Quand l’humain dépérit, son niveau baisse et son potentiel s’éloigne. C’est le tartare des leaders damnés.
Souvent le premier bilan des compétences acquises de l’entreprise est douloureux car vous constatez que vous n’êtes pas là où vous devriez être. Vous vous enlevez les œillères. Et quand vous embrasser pleinement votre leadership, vous constatez que les salariés ne sont pas le problème mais vous. Vous vous êtes raconté l’histoire d’une boite que vous n’avez pas et vous l’avez crue. Après, vous avez fait porter à vos équipes la responsabilité de ce conte fées malheureux.
Mais le bilan, pragmatique et factuel, est sans concession. Il dit vrai. Et ça peut faire mal.
Mais c’est un mal pour un bien. Maintenant vous savez exactement où en est le niveau et, mieux encore, vous savez ce qu’il faut faire pour le relever.
Rien que ça, ça va vous changer la vie !
Trop souvent, quand vous acceptez le vrai reflet du miroir de votre entreprise, vous acceptez que le réajustement doive se faire vers le bas, car le niveau attendu n’ est pas au rendez-vous. Il est vrai qu’il y en a toujours qui sortent du lot : ces salariés tombés du ciel sans lesquels vous fermeriez boutique. Mais n’en faites pas des arbres qui cachent la forêt. Vous devez réapprendre à vous raconter une histoire vraie, pas un conte de fées qui va vous faire des ulcères.
Revoir les ambitions à la baisse n’est pas un échec, mais une adaptation à une réalité systémique. Découle alors un plan de développement des compétences pour augmenter le niveau… Et viser à juste titre la performance jadis rêvée.
Rares sont les entreprises qui prennent ce rôle au sérieux. La norme étant plutôt de se contenter du minimum légal et de ne pas contempler des investissements pour le déploiement des compétences. On fait avec ce que l’on a, souvent rien, alors on n’obtient pas grand chose. C’est un cercle vicieux où votre rêve s’écrase en permanence sur la triste réalité. Le rêve est le potentiel que vous visez, la triste réalité le niveau que vous atteignez.
C’est comme envoyer un bachelier à l’université, le dispenser de cours et d’étude mais prétendre en retour qu’il ait un niveau doctorat.
Sans connaître le niveau réel de vos équipes, autonomie, efficience et épanouissement sont, au mieux, un rêve, au pire, un jeu de roulette russe. Vous vous endormirez toujours la boule au ventre, craignant le pire pour le lendemain.
Briser l’image biaisée que vous avez de votre entreprise, revenir les pieds sur terre, parler ouvertement des besoins en compétences, identifier les trous dans la raquette et établir une vraie stratégie pour booster les équipes vous évitera le premier grand piège : celui du rêveur qui confond niveau et potentiel.
Si vous l’osez, un jour vous aurez mieux que la boite de vos rêves. A défaut, vous pouvez toujours avoir pire.
Vous manquez de sommeil ? Parce que vous manquez de cadre !
Dans 9 cas sur 10, les problèmes en entreprise naissent d’un manque de cadre.
Vous avez deux personnes face à face. Les deux sont engagées. Les deux ont fait de leur mieux pour faire évoluer le projet. Les deux sont persuadées de bien faire. Et pourtant un gros problème surgit qui les oppose. Elles se pointent alors du doigt et se jettent la faute dessus. Et tout part en sucette… Un grand classique.
Et il faut voir l’énergie qu’elles déploient pour prouver que l’un a raison, que l’autre à tort !
On pourrait croire qu’elles se déresponsabilisent, qu’elles n’assument pas leur erreur… Mais c’est plus subtil que ça.
Elles ont toutes deux raison… de leur point de vue.
Et ce n’est pas une porte ouverte que je défonce.
Chaque point de vue est un cadre, assumé, accepté et défendu, souvent bec-et-ongles. Mais c’est un cadre interprété car il n’a pas été clairement posé au départ. Dans le problème cité plus haut, chaque personne croyait bien faire, dans le respect de cadres qu’elle avait interprétés. Quand le problème surgit on se retrouve alors face à l’opposition de deux cadres incompatibles.
« Il fallait faire comme ci ! »
« Non, on avait dit que l’on ferait comme ça ! »
On appelle ça des incompréhensions. Mais, c’est un leurre. Le problème ne nait pas d’incompréhensions mais de cadres mal posés que chacun va ensuite interpréter à sa façon.
Si vous écoutez ces personnes se plaindre vous entendrez deux histoires : la description factuelle (souvent subjective) de ce qui s’est passé et la justification des comportements de chacun. « J’ai fait ça parce que… »
En réalité, chaque fois qu’une personne se justifie c’est pour donner sa version subjective du cadre. A l’intérieur de leurs interprétations respectives, les deux personnes ont bien fait et on agit dans le respect du projet. Mais, quand les deux perspectives se croisent, elles ne sont plus compatibles et elles donnent lieu à un problème. Le conflit éclate.
Là, vous regrettez d’avoir laissé autant d’autonomie. Vous pensez que les équipes ne sont pas au niveau et vous vous lamentez de devoir toujours être sur le dos de tout le monde. Comme vous ne voyez que les problèmes et pas leur source originelle (le manque de cadre), vous êtes convaincu que vous êtes condamné à toujours gérer des problèmes de compétences et des rixes de personnel. Mais vous avez tort… Et c’est comme ça que beaucoup de leaders finissent par croire que sans eux le monde ne tournerait plus rond…
Alors que le leader joue aux pompiers et qu’il contribue à éteindre des feux, il concentre toute son attention sur la solution mais il ne se rend pas compte qu’il passe le plus clair de son temps à reposer le cadre, pas à résoudre le problème en question. Dit autrement, il contribue à mettre tout le monde d’accord ! Sauf que, comme tout le monde, lui inclus, est obnubilé par le problème, personne ne prend le temps de lever la tête et de formaliser, d’une fois pour toutes, un cadre clair. Au mieux, ce que l’on fait c’est tirer les conclusions et établir quelques règles qui ne pèsent pas lourd car tout le reste du cadre fait encore défaut.
Mais c’est quoi un cadre alors ?
Un cadre est constitué de la définition :
- d’enjeux : pourquoi fait-on quelque chose. Ça concerne autant le pourquoi superlatif qui donne du sens (raison d’être), que le pourquoi pragmatique et factuel (priorités, objectifs et indicateurs).
- de règles : celles qui régissent un bon fonctionnement. Elles sont de deux ordres. Les règles non négociables, dont le non respect est éliminatoire (sécurité, loi, etc.). Les règles de fonctionnement (habitudes, méthode, process, etc.). A un instant t, elles sont toutes non négociables mais les règles de fonctionnement évoluent avec l’entreprise alors que les règles non négociables sont stables dans le temps.
- de relations : les liens entre les parties prenantes. Qui fait quoi avec qui, comment et pour qui. Ici, on voit au-delà de la fiche de poste et l’on définit l’impact que chacun a dans le système.
- de soutien : c’est à dire tout ce que l’on met à disposition, de façon transverse, aux trois niveaux antérieurs, pour que le cadre puisse être respecté. D’un côté il y a les moyens (économiques, humains, temps, pédagogiques, etc.), d’un autre les encouragements et les récompenses.
Pour plus de détails voir la section « Focus Sur »
Un cadre clair est un cadre formalisé, décrit et cité. C’est aussi un cadre compris de la même façon par toutes les parties prenantes.
La définition du cadre ne fait jamais partie des réunions de travail. Il est compris de fait, comme une évidence. On considère inutile de rappeler certains fondamentaux car ils sont clairs pour tous… Sur le papier.
Puis la réalité vous prouve le contraire.
Habituez-vous à poser le cadre pour chaque projet et votre vie changera à jamais.
Vous aurez mis à la poubelle 9 problèmes sur 10 et, la meilleure de toutes, vous découvrirez que vous n’êtes plus aussi indispensable que vous ne croyiez ! L’autonomie responsable est possible… Sans jouer à la roulette russe !
Une culture responsabilisante
La responsabilité ne s’invente pas. C’est une culture.
Parfois, une personne arrive en entreprise avec un haut sens de la responsabilité car c’est sa culture (familiale, communautaire, etc.). Parfois, c’est tout à fait le contraire : elle a besoin d’une culture créée de toutes pièces. Et dans tout ça…
Vous êtes-vous jamais posé la question de la culture de votre entreprise ?
Elle est une moteur puissant et essentiel. Elle est aussi un des piliers fondamentaux de l’identité individuelle et groupale (culture, histoire, valeurs, style de vie, jargon, codes et couleurs).
La culture d’entreprise est un cadre qui définit une appartenance. A l’intérieur de ce cadre il y a une série de règles qui définissent une identité. Quelle est-elle chez vous et en quoi vos équipes sont-elles fières de faire partie de cette aventure ?
Il y a là bon nombre de questions dont les réponses peuvent manquer à l’appel car, trop souvent, elles n’ont jamais été posées. Si c’est votre cas, c’est normal que mener un groupe vous semble difficile car, sans identité, il n’y a pas de groupe mais juste un groupement.
Dans les cas où il n’y a pas de culture d’entreprise affichée, une culture par défaut s’instaure toujours forgée par les choix, souvent personnels, des parties prenantes concernées. Ça donne souvent une soupe hétéroclite dont le goût est laissé au petit bonheur la chance.
En quelques lignes, j’ai ouvert un énorme dossier mais on ne peut pas viser la pointe de l’iceberg sans se soucier de ce qui se cache sous l’eau.
Maintenant, parlons responsabilité, notre pointe de l’iceberg…
Quand la responsabilité est un critère de sélection identitaire dans un groupe, l’autonomie est un effet collatéral, si le niveau est au rendez-vous.
Dit autrement, pour qu’elle soit universelle au sein de votre entreprise, la responsabilité doit être une culture inculquée, la règle non négociable d’un cadre défendu et une compétence qui s’enseigne et s’apprend.
Un bonus en sus
On a parlé autonomie, épanouissement et efficience mais savez-vous où se trouve la plus grande source de déperdition d’efficience dans la plupart des entreprises ?
Dans la réunionite aigüe.
Cette culture de la réunion qui n’en finit pas. Celle que l’on programme pour une demie heure et qui prend trois heures. Celle qui commence avec un sujet et finit avec dix autres mais qui n’en traite aucun. Celle où certains s’entendent parler et d’autres se voient décrocher. Celle qui aboutit à la conclusion que l’on doit se réunir à nouveau.
Je parle aussi de ces réunions pour faire acte de présence parce qu’il faut être là. Ces centaines d’heures perdues à entendre sans écouter, plus soucieux de mesurer le retard qui s’accumule que les sujets évoqués… Et ne parlons pas des powerpoints indigestes et assommants que l’on a tous ingurgité comme des oies de gavage.
La réunion est un cancer qui tue l’efficience. Nécessaire à un certain degré, elle devient une plaie après.
Vous êtes-vous arrêté à mesurer le coût horaire cumulé de toutes les réunions que vous convoquez ?
Vous seriez surpris de l’apprendre…
Nous avons tous participé à des milliers de réunions dans notre carrière. Chaque semaine, elles prennent une part essentielle de nos agendas. C’est aussi vrai pour nos équipes. Pourtant, nous a-t-on jamais formé pour faire de cet exercice un havre d’efficience ?
Non.
C’est comme le reste. On considère que tout le monde sait faire. Qu’il suffit de s’asseoir autour d’une table et de se parler.
Mais vous savez aussi bien que moi que ce n’est pas vrai !
Alors formez-vous ! Formez vos équipes ! Apprenez à tenir des réunions qui marchent !
Je vous assure, là aussi, votre vie ne sera plus jamais la même.
Et vos résultats non plus.
Conclusion
Quatre piliers pour des équipes performantes, épanouies et responsables, quatre secrets pour remettre l’humain au centre de l’entreprise et lui permettre d’étendre ses ailes pour s’envoler. Quatre piliers qui découlent de façon naturelle à des comportements autonomes, n’ont pas parce qu’« il faut » mais parce que c’est un effet collatéral.
Laissez-vous le temps de contempler ces quatre questions et osez contempler le miroir sans filtre. Je suis prêt à parier que vous faites partie des 9 sur 10 qui omettent ces questions.
Si ce n’est pas le cas, félicitations : vous faites partie d’un club très restreint et je suis prêt à parier que votre entreprise se porte plutôt bien !
Et si je vous ai heurté, je m’en excuse mais, comme je le disais en introduction, l’heure n’est pas à se caresser dans le sens du poil.